Intégrer une peur, c'est facile. S'en libérer est plus ardu...
L’être humain est fait en sorte d’intégrer facilement une nouvelle peur, quand sa sécurité est menacée. Mais quand il s’agit de « déconstruire » cette même peur, c’est une autre histoire.
En cette crise du coronavirus, Marie-France Marin, professeure de psychologie à l’Université du Québec à Montréal qui étudie justement l’apprentissage de la peur, nous prévient que nous mettrons du temps à « éteindre » la peur de contracter d’être touchés par la COVID-19.
Elle a expliqué son propos à Québec Science.
Pourquoi la peur de la COVID-19 s’est-elle transmise aussi facilement et rapidement dans la population?
Selon Marie-France Marin, pour apprendre la peur, l’humain n’a pas besoin de faire 44 fois l’expérience d’une menace. « S’il faut que tu te fasses frapper 44 fois pour apprendre à regarder avant de traverser la rue, ça nuira à la survie de l’espèce! », image-t-elle.
Ainsi, par le passé, si on entendait une personne tousser en public, on n’y portait pas vraiment attention.
Et voici qu’en points de presse, les autorités ont expliqué qu’en toussant à moins de 2 mètres d’un autre individu, il y avait un risque de transmission.
Au même moment, on a vu le nombre de décès en Italie atteindre les 800 par jour et on a réalisé que ça pouvait nous arriver.
Ce qui fait que maintenant, lorsqu’on entend une personne tousser à l’épicerie, même si elle n’a peut-être qu’un chat dans la gorge, pas la COVID, on la fusille du regard!
Toutefois, si on apprend rapidement la peur, c’est une autre histoire quand vient le temps de « l’éteindre »; ça prend vraiment du temps.
C’est pour cette raison que les gens ont paniqué quand le gouvernement a parlé de l’éventualité de rouvrir les écoles. Bon nombre de lettres ouvertes et de pétitions sont sorties!
Pour madame Marin, on devra désapprendre la peur et former une nouvelle association avec le concept de rassemblement, par exemple. Ce concept anodin auparavant nous évoque maintenant un danger.
À l’avenir on devra réapprendre qu’un rassemblement n’est pas synonyme de «tu vas attraper la COVID et mourir ou faire mourir ta grand-mère», explique la psychologue.
Comment faire pour surmonter cette peur et retourner à l’école ou au travail?
Marie-France Marin pense qu’on devra s’exposer graduellement à ce que nous redoutons. Un peu comme quand une personne a une phobie des araignées. « On n’enverrait pas cette dernière directement à Fort Boyard dans les cages avec des araignées! Même chose pour nous », dit-elle.
Les premiers temps, quand on invitera des gens à la maison et qu’un d’eux toussera, on sera aux aguets. Ensuite, ça va bien se passer; notre cerveau va apprendre. Au fil des soupers, la peur diminuera.
Tout le monde n’ira pas à la même vitesse. Pour faire l’apprentissage de ce que la psychologue nomme «l’extinction», ou l’apprentissage de la sécurité, il faut un certain laps de temps. Cela sera plus long pour les personnes anxieuses.
Est-ce que les enfants pourraient surmonter plus facilement les peurs?
Madame Marin explique que, pour les enfants, apprendre la sécurité est un défi. La région du cerveau impliqué dans ce processus est le lobe frontal et c’est la dernière région du cerveau à se développer, au début de la vingtaine. (Certains travaux parlent même que de la fin de la vingtaine).
Cependant, cela ne veut pas dire que nos enfants ne sont pas capables de réguler la peur. « Mais les études montrent que les parents leur servent (aux enfants) de lobe frontal. Encore faut-il que le parent sache se réguler lui-même… S’il voit du danger partout, l’enfant aura du mal à éteindre la peur », mentionne la spécialiste.
Concrètement, que veut dire « jouer le rôle de lobe frontal »?
Par exemple, il faut leur rappeler que le lavage fréquent des mains et la distanciation physique sont uniquement des mesures de prévention. Leur dire que c’est situationnel, que ça ne sera pas toujours comme ça.
Toutefois, comme l’explique madame Marin, les enfants ne sont pas sensibles seulement aux paroles. Par exemple, si on leur dit sur un ton paniqué que «tout va être correct», ils verront la contradiction. Il faut que les adultes soient capables de se contrôler.
En même temps, on ne doit pas se mettre une pression surhumaine sur les épaules, en tant que parents. Il est normal d’être stressé et d’avoir parfois des fois des comportements un peu « freak » devant nos enfants.
« Dans ce cas, je pense que l’important, c’est de le dire: maman a peut-être exagéré un peu », explique-t-elle.
On doit aussi écouter l’enfant et apporter des nuances. Le lobe frontal apporte la perspective et la capacité d’avoir du recul. Si un enfant entend aux nouvelles qu’il y a des morts liés au coronavirus, on doit lui apporter du recul, ce concept qu’il ne possède pas du tout.
Il serait dangereux que les enfants se mettent à généraliser. Oui, se laver les mains est important lorsqu’on revient à la maison, par exemple. Mais si jouer avec son frère dans la chambre ne cause pas de danger. Il faut faire cette distinction.
Mais que faire si l’enfant veut se laver les mains 200 fois par jour?
Voici la réponse de la psychologue « En prêchant par l’exemple. Ensuite, on peut lui dire: «tu les as lavées tantôt, alors cette fois-ci, on ne les lave pas». Ça va lui créer des inconforts. Mais il faut les accepter; c’est souvent là qu’on flanche et qu’on les laisse se laver les mains ou fuir la situation qui les inquiète. Pourtant, la clé de l’anxiété et de la peur, c’est d’affronter. Il faut éviter d’éviter! »
On présume que le retour à l’école sera tout un processus pour les enfants comme pour le reste des gens.
Madame Marin mentionne que les enfants n’ont pas tous la même personnalité. Actuellement, certains n’ont pas assez peur et on doit même leur faire un peu peur pour qu’ils se protègent. Toutefois, avec les enfants qui ont trop peur, on doit leur laisser du temps. Pendant le déconfinement, on pourra leur montrer que nous aussi, on se rapproche des autres.
« Quand je pense au retour à l’école et à la garderie, les profs et les éducatrices aussi auront un rôle ultra important. Leur propre façon d’être influencera la peur et le sentiment de sécurité des enfants », mentionne la psychologue, qui ajoute qu’on a pu observer dans une étude réalisée l’an passé que les enfants apprennent aussi bien d’un parent que d’un autre adulte et même d’un étranger.
Comment les spécialistes procèdent-ils pour étudier l’apprentissage de la peur?
Voici la réponse de madame Marin:
« Pendant mon postdoctorat, je me suis intéressée au trouble anxieux et au trouble de stress post-traumatique. Je fais toujours des expériences très « labo », par conditionnement de la peur. On paire un stimulus avec un autre stimulus négatif : mettons la couleur bleue avec un choc électrique. Tu apprends donc que le bleu, ce n’est pas l’fun! J’ai pris plein de mesures physiologiques et fait de l’imagerie cérébrale pour comprendre comment ces personnes apprennent la peur et la régulent de façon différente.
Après, j’ai pensé à leur famille, car ces pathologies ne nous empêchent pas de fonder une famille. Les proches sont des victimes collatérales : ils sont exposés aux conséquences qui en découlent ».
La psychologue explique que les enfants dont les parents souffrent d’un trouble anxieux ou d’un trouble de stress post-traumatique sont beaucoup plus à risque de développer un trouble également. Dans ce phénomène, l’impact de la génétique dans ce phénomène est de 30 à 40%. Ce qui laisse beaucoup de place aux facteurs environnementaux, tels que l’apprentissage par l’observation.
Ce qui veut dire que même si votre mère est anxieuse, vous ne le serez pas nécessairement vous aussi. L’environnement dans lequel on évolue peut aider ou empirer notre cas.
Comment réagit une spécialiste de la peur devant la crise actuelle?
« Au début de la crise, j’étais vraiment stressée. Mais je me suis dit : « Tu travailles sur le stress, tu devrais être capable d’arriver à le gérer! » Depuis, j’évite de trop m’informer et mon conjoint et moi avons aménagé un gym dans le sous-sol pour faire plus de sport. Ça va, maintenant! », confie la psychologue.